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Extrait N°1
Son frère le retint trois jours chez lui, mais Maurice voulait retourner «là-haut». Dans la grange, Maurice s’était aménagé un  lieu de vie au chaud. il tenait absolument à rester sur place, entouré de l’esprit des siens. Pour la cinquième nuit consécutive, il ne trouvait pas le sommeil. Il se leva brusquement, enfila un pantalon et un tee-shirt. Il ne sentit pas le froid glacial de l’hiver en ouvrant la porte. Il courut vers le bout du pré la torche à la main, il atteignit rapidement le bec rocheux qui dominait la vallée, où il venait parfois méditer. Il s’approcha du bord regarda vers le bas. C’était un à-pic impressionnant de cent mètres environ. Il fit un cent quatre-vingts degrés du regard, il ferma les yeux. Ses orteils dominaient le vide…Son cri retentit dans la vallée et rebondit sur les roches plissées qui formaient un anticlinal sur le versant d’en face.
Extrait N°2
Il participait silencieusement à l’hommage, quand le visage d’une femme le frappa. Il avait déjà vu ce visage mais où? Une ancienne camarade d’école? Une rencontre dans un festin au cours d’une soirée alcoolisée? Une relation épisodique de travail? Une célébrité télé? Il ne savait pas se le remémorer. Et pourtant ce visage…

– Excusez-moi; est-ce qu’on se connaît?
– Non, je ne crois pas monsieur.
– Je m’appelle Maurice, je suis berger, et vraiment votre visage…
– Allons monsieur, mon mari n’est pas loin…
– Non, pardonnez-moi, je suis confus, ce n’est pas une manière de vous approcher!
– Ah! Vous voulez dire que vous ne me trouvez pas attirante?
– Non, ce n’est pas ce que je voulais dire non plus, mais…
– Eh bien! décidez-vous alors!
– J’ai eu l’impression forte d’avoir déjà vu votre visage, rien de plus.
– Allez, je vous taquine; je sais qui vous êtes, je vous ai déjà vu vendre vos fromages, mais nous ne nous connaissons pas, et je ne crois pas que vous m’ayez déjà dévisagée. Je m’en souviendrais!
– Ah bon! Tant mieux!
– Vos fromages sont excellents. Ce sont mes préférés.
– Merci, ça me fait plaisir. Bonne journée, et excusez-moi encore!
– Bonne journée, il n’y a pas de mal, tout le plaisir est pour moi.
Il était un peu emprunté avec les femmes, mais il restait naturel. Celle-là était particulièrement jolie, un peu ambiguë, et ne le laissait pas indifférent. Et puis ce visage…

Extrait N°3
Au bout de deux mois, il décida de s’arrêter quelques jours, dans les montagnes Kurdes. C’était  l’occasion de faire un break, il avait besoin d’un peu de recul. Naturellement, il se dirigea vers un berger. Le contact était facile, où qu’il soit sur la planète avec ceux qui restaient ses alter ego. Il aimait toujours parler «moutons». Ce berger devait avoir une soixantaine d’années. Il était grand et solide. Ses cheveux blancs lumineux, dépassaient d’une sorte de turban à carreaux blancs et noirs. Son visage mat et buriné était barré par une épaisse moustache noire, et illuminé par des yeux  pétillants. Son pull jacquard laissait déborder une chemise crème, et sa veste en toile couleur café lui donnait une allure «castriste». Son visage souriant engageait à la rencontre. Il rassurait. Il était flanqué d’un acolyte, maigre et émacié, édenté de deux incisives et de quelques molaires, au regard ahuri, mais joyeux. L’homme lui offrit un thé. Ils s’assirent sur des pierres.

Extraits choisis

Extrait N°5
Traverser la «death zone», c’est affronter directement la mort. Les avalanches, le froid, les crevasses menacent, les arêtes sont vertigineuses, mais surtout l’organisme n’est plus en mesure
de s’adapter à la raréfaction de l’oxygène. Les processus vitaux commencent à dépérir et la mort n’est plus qu’une question de temps. Il faut s’y méfier de ses propres comportements, se protéger de soi-même. Deux ou trois jours seulement sont supportables à partir de cette altitude. Il faut donc très bien se connaître soi-même. Il faut réaliser les derniers hectomètres de l’ascension dans le temps imparti. À partir de ce moment, les bouteilles d’oxygène étaient devenues impératives. Comme Morgan, Vladimir, un russe de quarante-cinq ans, avait serré les dents jusque-là, mais il n’en pouvait plus. Au matin de la dernière ascension, tout son mental voulait continuer mais son corps était au bout. Ses muscles se tétanisaient au moindre mouvement. Il pleurait, de douleur sûrement, mais plus encore de frustration, de ne pouvoir atteindre son ambition.

 

Extrait N°4
" Pendant longtemps je n’ai pas cherché à savoir qui j’étais, ni ce que je cherchais, quel était mon rôle sur cette terre ou quel était le sens de ma vie? J’étais un peu comme «programmé». J’ai vécu ma
vie comme un chemin, un parcours, sans vraiment me demander vers quoi ils menaient. On se conforme à son  environnement, à la société, à un «tout» qui nous détermine. Depuis quelques années, je m’interroge sur le sens de tout ça, mais cette interrogation est polluée par l’activité quotidienne. Je n’y apporte donc pas de vraie réponse, et même si j’ai un élément de  réponse, le flot du quotidien m’empêche de la mettre à l’épreuve, de tirer le fil de cette pelote qui m’est offerte. Notre mode de vie nous détourne de l’essentiel. Il est là, à portée de mains, nous le sentons, nous le voyons, mais nous ne le saisissons pas, emportés par le tourbillon que nous créons nous-mêmes. C’est le sens de ma retraite ici, pour réfléchir en étant déconnecté du reste. Qui étais-jeau début? Et qui suis-je aujourd’hui? Ai-je évolué, ai-je changé? Suis-je à la recherche de ce que je suis réellement? Suis-je en transition vers autre chose? Suis-je en train de découvrir ce que je suis?
"

 

Extrait N°6

 

- À gauche ; prenez à gauche ! hurla Maurice, au couple de randonneurs qu’il accompagnait, et qui le devançait.

Francis prit tout de même à droite. Il voulait aller admirer un point de vue panoramique sur la vallée.

Maurice les rattrapa à une centaine de mètres de l’orée de la clairière qu’il voulait absolument éviter. Son coeur battait fort et le couple le remarqua. Voilà trois ans qu’il les accompagnait en randonnée. Il leur avait toujours donné l’image d’un homme calme et serein. Ils n’insistèrent pas, se déroutèrent et s’assirent sous un grand chêne. Maurice leur raconta ses visions, et tout ce qu’il avait vécu ces derniers temps : il avait besoin de partager son trop-plein d’interrogations.

– Hum ! dit Francis. Il faudrait en parler au père Teilhard de Chardin !

– Oh non ! s’il vous plaît, j’ai déjà eu mon lot de bondieuseries !

– Je blague. Il y a longtemps qu’il est mort !

– Je ne blague plus avec ça moi ! Ça m’empoisonne la vie. Je ne sais plus où j’en suis. Je n’y comprends rien !

– Je comprends. Moi je suis serein avec ça aujourd’hui, mais je suis passé par la même angoisse.

– Alors vous savez ce que c’est… Attendez ! Qu’est-ce que vous venez de dire ?

– J’ai dit que moi aussi je me suis posé des questions.

– Vous avez vécu quelque chose de similaire ?

– Oui, de très proche.

– Oui mais encore…

– Il faut que vous soyez prêt à recevoir un éclairage peu conformiste.

– Ne me faites pas attendre

– Je me suis documenté, j’ai beaucoup recherché, beaucoup lu, et j’ai fini par me passionner pour ce sujet et j’ai découvert beaucoup de choses, que j’ai vérifiées depuis.

– Lesquelles ?

– Pour faire simple, vous êtes une antenne Maurice, une antenne, qui capte des ondes, des énergies, des émotions et qui les décode…

– Mais elles viennent d’où ces ondes ?

– De la noosphère*.

– L’anneau… au… quoi ?

– La noosphère : c’est un mot qui a été inventé par un scientifique russe Vladimir Vernadsky, déjà  inventeur de la biosphère. Ce concept a été développé dans plusieurs ouvrages par le père Pierre Teilhard de Chardin.

– La science et la religion main dans la main ! Quand ces frontières tombent, ça me plaît ça ! s’emballa Maurice.

– Il désigne la « sphère de la pensée humaine »

– Et puis…

– La noosphère serait la troisième phase de développement de la Terre, après la géosphère initiale qui était constituée de matière inanimée, puis la biosphère, c’est-à-dire la vie biologique.

– Les roches, les arbres, le ciel. Blanc, vert, bleu : c’est mon drapeau ! murmura Maurice, qui accrochait à l’idée.

– C’est une belle palette ! dit le Niçois.

– Blanc pour la géosphère et ses roches calcaires, vert pour la biosphère et ses arbres, bleu pour la noosphère.

– C’est une belle devise ! renchérit sa femme.

– Qu’est-ce qu’on y trouve dans cette noosphère ?

– Ce serait une couche qui entoure la Terre. Elle regrouperait à la fois toutes les consciences de  l’humanité et toute la capacité de cette dernière à penser. Elle engloberait l’ensemble de l’activité intellectuelle de la terre : il s’agirait d’une sorte de « conscience collective de l’humanité » qui intègre toutes les activités cérébrales et mécaniques de mémorisation et de traitement de l’information…et tous les inconscients humains.

– Et on pourrait donc capter des informations en provenance de cette mémoire collective ?

- Vous avez tout compris. Certains captent mieux que d’autres, c’est notre cas. D’autres en ont une conscience plus marquée. D’autres encore sont doués pour mieux convertir ou interpréter ce qu’ils captent.

– Par quel moyen ?

– Une configuration cérébrale particulière, une capacité extrasensorielle supérieure.

– Comment ça marche ?

– Notre cerveau se compose de deux hémisphères : un hémisphère gauche où ont lieu la plupart des activités analytiques et rationnelles, autrement dit la logique et le raisonnement, et un hémisphère droit où se déroulent plus spécialement les phénomènes de perception globale et intuitive, c’est-à-dire les émotions et pulsions. Les différentes parties du cerveau communiquent souvent et rapidement et avec un fort débit d’information entre elles. Le principe est donc simple : un hémisphère droit qui capte, des connexions multiples vers le gauche qui permettent une interprétation logique. Les « antennes », comme nous, savent mieux capter et mieux interpréter.

– Alors on capte tout le temps, en permanence ?

– Vraisemblablement, mais on ne décode, de manière consciente, qu’à certains moments. La réception est favorisée par des états seconds : sommeil, méditation, stress, alcool, drogues, bonheur, extase, choc psychologique. Tous ces états exacerbent les émotions et donc les capacités de connexion.

– Oh ! Putain !

– Ça vous en bouche un coin ? Hein ?

– Oui, parce que c’est cohérent : l’alcool, le sommeil, le choc émotionnel. Mes trois expériences conscientes !

– C’est tout à fait ça. C’est comme une perception extrasensorielle, qui viendrait compléter les sens. C’est une sorte de sixième sens : il faut savoir ressentir.

Maurice enchaîna :

 

L’essence

« Couleur, noir et blanc, clair, obscur

La vue, belle, Cézanne, lecture

La vue, grisaille, laideur, ruines

La vue surtout, vos yeux qui s’illuminent

 

Le son, fort, faible, aigu ou grave

L’ouïe, mot doux, mélodie suave

L’ouïe, reproche, insulte, esclandre

L’ouïe surtout, le plaisir de s’entendre

 

Boisé, fleuri, musc ou ambré

L’odorat, fleur, parfum, fumet

L’odorat, toxique, acre, rance

L’odorat surtout, les parfums de l’enfance

 

Chaud, froid, doux rugueux, sec, lisse

Le toucher, peau, douceur, glisse

Le toucher, gras, sale, immonde

Le toucher surtout, ta caresse profonde

 

Sucré, salé, acide, amer

Le goût, plaisir, papilles, saveur

Le goût, dégoût, crachat, anathème

Le goût surtout, tu me plais et je t’aime

 

Clarté, simplicité, puissance

Nos sens dictent leurs évidences

Croyances, erreur, défiance

Ils font aussi des contresens

 

Alliance, intuition, fulgurance,

C’est par notre sixième sens

Qui ressent plus qu’il ne pense

Que se révèle notre essence

 

– Pas mal ! dit le Niçois. Vous avez l’air d’une bonne antenne. Vous captez bien. Et en plus, vous y mettez votre patte.

Cette rencontre lui avait ouvert les yeux. Même s’il n’était pas convaincu par tous les arguments de l’homme, et qu’il restait méfiant, il y trouva un grand intérêt et des convergences avec ce qu’il ressentait. Il décida donc de croire à ce en quoi il avait envie de croire et non à ce à quoi on le conduisait à croire et encore moins à ce à quoi on lui demandait de croire. Pendant les jours suivants, il mit cette théorie à l’épreuve de son vécu…

 

* Le mot, développé par Pierre Teilhard de Chardin dans Le Phénomène humain, a été inventé par Vladimir Vernadski. C’est la représentation d’une couche de faible épaisseur entourant la terre qui matérialiserait à la fois toutes les consciences de l’humanité et toute la capacité de cette dernière à penser.

 

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